Appel à communications
Colloque international
Entre logos et engagement
Le théâtre d’Albert Camus et de Jean-Paul Sartre
4, 5 et 6 novembre 2020
Collège d’Espagne, Cité internationale universitaire de Paris
Bibliothèque nationale de France, site Richelieu
Conception et coordination :
Vincenzo Mazza
Université Paul Valéry – Montpellier 3
Unité de recherche HAR, Université Paris Nanterre
E.S.T. www.etudes-sur-le-theatre.fr
Ce que le théâtre peut montrer de plus émouvant est un caractère en train de se faire, le moment du choix, de la libre décision qui engage une morale et toute une vie.
Jean-Paul Sartre (1947)[1]
L’acteur est le principal, le principe, l’âme du spectacle. Voir un acteur entrer dans son rôle, l’habiter, l’entendre parler de la voix même qu’on avait entendue dans le silence et la solitude, c’est la plus grande joie qu’on puisse rencontrer dans ce métier.
Albert Camus (1957)[2]
Argumentaire
Deux auteurs qui ont marqué une génération théâtrale
Le théâtre des années quarante et cinquante en France a eu deux protagonistes majeurs : Albert Camus et Jean-Paul Sartre. S’ils sont, à cette époque, publiquement présents à la fois en tant que romanciers, penseurs philosophiques, commentateurs de questions socio-politiques, et fréquemment mis en rapport de manière polémique, Camus et Sartre sont également représentants d’un théâtre du logos. Leurs pièces font régner la parole – à l’égard de ses qualités de discours engagé ainsi que d’objet littéraire esthétique – et la rationalité, mise en jeu dans les conflits dramatiques.
Leur production dramaturgique est comparable autant à niveau de la quantité de pièces, incluant pièces originelles et adaptations, qu’à la période consacrée à l’écriture pour la scène dans leurs parcours professionnels. Pour Camus, celle-ci s’étend de 1936 à 1958, et pour Sartre, de 1940 jusqu’à 1965. Leurs débuts dramaturgiques se font dans des conditions d’écriture particulières, dans un cadre de théâtre amateur marqué par les situations politiques respectives. Bariona, ou le fils du tonnerre de Sartre, sorte de mystère traitant de la Nativité, a été rédigé pour un spectacle joué fin 1940 au stalag XIID où l’auteur était détenu. Quant à Camus, il expérimente à partir de la période du Théâtre du Travail à Alger son rôle de co-auteur de l’ « essai de création collective » Révolte dans les Asturies. La pièce, écrite en 1936, relatant l’insurrection ouvrière, fut censurée avant d’être représentée publiquement.
Sartre et le théâtre
Jean-Paul Sartre a réussi, après ses deux premières pièces, Bariona et Les Mouches, qui ont connu une genèse difficile, à créer des personnages et récits scéniques qui ont rencontré souvent les faveurs du public. L’épreuve à la scène s’est faite à travers le travail d’importants metteurs en scène et comédiens de l’époque. Les Mouches, dont Jean-Louis Barrault devait assurer la création, ont finalement – à la suite d’un conflit autour de la distribution – été montées par Charles Dullin en 1943 avec des comédiens peu expérimentés si l’on excepte Dullin lui-même dans le rôle de Jupiter. Huis clos, porté à la scène en 1944 par Raymond Rouleau au Théâtre du Vieux-Colombier, et qui fut un succès seulement à partir de la reprise du spectacle après la libération de Paris, dessine un lien éphémère entre Sartre dramaturge et Camus metteur en scène : en 1943, la pièce devait être montée par Camus qui aurait également interprété le rôle de Garcin. L’auteur de La Nausée a su, à partir du choix personnel de comédiens populaires, faire briller les qualités de ses pièces à travers l’interprétation. Ce fut le cas d’Héléna Bossis dans La Putain respectueuse, d’Alain Cuny dans Mort sans sépulture, de François Perier dans Les Mains sales, de Maria Casarès et Jean Vilar dans Le Diable et le bon dieu, de Pierre Brasseur dans Kean, ainsi que de Serge Reggiani dans Les Séquestrés d’Altona. Si Sartre a employé dans plusieurs pièces les conventions dramatiques d’un théâtre bourgeois, il a également instauré un genre à part – le « théâtre de situations » – où des personnages font face à l’oppression, à l’ordre établi, à la nécessité ou l’incapacité de se révolter.
Camus et le théâtre
Albert Camus a voulu faire du théâtre – écrire des pièces, mettre en scène, et de manière secondaire, jouer – toute sa vie durant. En Algérie, il est l’animateur de deux groupes de théâtre dans la deuxième moitié des années trente, le Théâtre du Travail et le Théâtre de l’Équipe. Si le premier est lié à son expérience avec le Parti communiste français, le deuxième est clairement inspiré par les propos de Jacques Copeau sur la rénovation théâtrale. La carrière de Camus dramaturge commence à Paris avec la publication des deux premières pièces, Caligula et Le Malentendu, en 1944. La deuxième, qui représente une tentative de tragédie moderne « en veston », a été créée la même année au Théâtre des Mathurins dans une mise en scène de Marcel Herrand. Aucune de ses pièces originelles (Caligula, Le Malentendu, Les Justes et le cas particulier de L’État de siège, élaboré avec Jean-Louis Barrault) ou de ses adaptations (Un Cas intéressant, La Dévotion à la croix, Les Esprits, Le Chevalier d’Olmedo) connaissent un véritable succès avant Requiem pour une nonne (1956), tiré du texte homonyme de William Faulkner, et Les Possédés (1958) d’après Dostoïevski. Un paradoxe veut qu’un homme de théâtre comme Camus, qui a été non seulement un auteur dramatique mais aussi metteur en scène, véhicule dans son écriture pour la scène des structures dramatiques conventionnelles du 19e et du début du 20e siècle. Il ne s’agit pas d’un précurseur de nouvelles formes dramatiques nonobstant ses recherches d’une réinstauration du tragique sur la scène de son époque reliant « tragédie moderne » et « mythes modernes ».
Les prolégomènes de l’événement
Le colloque ne vise pas à confronter les deux écrivains à travers la dramaturgie mais à cerner les caractéristiques d’un théâtre qui n’existe plus, d’un théâtre qui a été surnommé « théâtre d’idées », « théâtre philosophique » ou « théâtre existentialiste ». Même si les perspectives et la place que le théâtre occupe dans leurs œuvres diffèrent, Sartre et Camus ont marqué toute une époque avec leur présence dans différents domaines du monde de l’édition et de la parole vive. Chaque nouvelle création théâtrale, avec leurs noms à l’affiche, a constitué un événement majeur de la saison concernée.
Les rapports entre Sartre et Camus, ainsi que leurs apports respectifs aux arts de la scène ont déjà fait objet d’événements scientifiques. Les liens entre les deux hommes de lettres ont été étudiés en 1998 à la Sorbonne, lors de la journée d’étude « Sartre et Camus écrivains », avec une publication partielle des actes en 2001, sous la direction de Geneviève Idt. Le premier colloque sur le théâtre de Camus, organisé par Jacqueline Lévi-Valensi, a été mis en place en 1988 à Amiens, et le deuxième en 2009 à Kingston au Canada, « Camus à la scène/Camus on stage », organisé par Sophie Bastien. Plus récemment, en 2016, « Le théâtre d’Albert Camus et le Siècle d’or », s’est focalisé sur les adaptations de pièces espagnoles par Camus et ses liens avec les autres formes théâtrales ibériques. S’il n’y a pas eu jusqu’à présent un colloque portant exclusivement sur le théâtre de Sartre, il existe un nombre important d’ouvrages axés sur sa dramaturgie et la pratique scénique, notamment ceux de Michel Contat, d’Ingrid Galster, de John Ireland, de Jean-François Louette, de Jacques Lecarme ou de Gilles Philippe.
Un colloque sur un théâtre disparu
Le colloque « Entre logos et engagement : le théâtre d’Albert Camus et de Jean-Paul Sartre » qui se tiendra les 4, 5 et 6 novembre 2020 au Collège d’Espagne de la Cité internationale universitaire de Paris et au site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France, entreprendra de définir les caractéristiques d’un théâtre ancré dans une tradition littéraire, d’une dramaturgie de la parole engagée et de la raison verbalisée à l’aube d’un bouleversement des codes dramaturgiques et de l’apparition de pièces peuplées de personnages démunis d’un flux cohérent de conscience, qui sont en dehors du temps ou dans des paysages soit archaïques, soit post-apocalyptiques. Certes, la dramaturgie en France à partir des années cinquante n’a pas connu seulement les univers de Samuel Beckett, Arthur Adamov et Eugène Ionesco, mais également, parmi les œuvres notables, un théâtre où la parole véhicule un réalisme tragique, celui de Marguerite Duras, ou celui de l’expérience verbale sensorielle de Valère Novarina.
La fin de la production dramatique des deux protagonistes du colloque et de leur action dans le panorama théâtral coïncide également, en ce qui concerne les pratiques de création dans des cadres de théâtres-laboratoires, avec une baisse du statut du texte dramatique préexistant et dominant le travail de mise en scène en faveur de l’essor de la présence du corps en scène, notamment dans les recherches menées par le Living Theatre, Jerzy Grotowski, Eugenio Barba et Ariane Mnouchkine.
Parmi les questions auxquelles ces rencontres voudraient fournir des réponses :
– Quelles sont les formes et les modèles auxquels les dramaturgies de Camus et de Sartre se réfèrent ?
– Quelle est la place attribuée à leurs pièces aujourd’hui ?
– Comment envisager les conjonctures de présence et d’absence de certaines pièces au cours du 20e et au début du 21e siècle ?
– Quelles sont les nouvelles contributions que nous pouvons fournir, à partir d’une recherche dans les archives, sur les créations théâtrales des pièces de Sartre et de Camus, concernant la genèse, la mise en scène, la réception ?
– Si, dans la création contemporaine en France, l’on remarque un nouvel essor du texte verbal, quelles sont les raisons pour monter le théâtre de Camus et de Sartre aujourd’hui ?
– Quelles sont les tâches de l’historiographie théâtrale face au théâtre de cette époque ?
Axes de recherche
1) Études de cas : enjeux philosophiques et politiques du théâtre de Sartre ou de Camus.
2) Perspective historique : le théâtre de Camus et son époque.
3) Perspective historique : le théâtre de Sartre et son époque.
4) Les modèles de la dramaturgie de Camus et de Sartre, les filiations et les ruptures avec le théâtre de leurs prédécesseurs, de leurs contemporains, et de leurs successeurs.
5) Sartre et Camus en scène : analyse des créations des pièces de deux dramaturges à partir de documents inexploités ou méconnus.
Modalités de soumission
Les propositions de communication devront être adressées à theatre.sartre.camus@gmail.com
Format de la proposition : argumentaire d’environ 250 mots en explicitant l’approche méthodologique, titre de la contribution, bibliographie et 5 mots-clés. Les propositions seront accompagnées d’une brève biobibliographie et des coordonnées électroniques de l’auteur.e.
Date limite d’envoi : 30 avril 2020.
Les réponses d’acceptation seront envoyées avant fin mai 2020.
Frais d’inscription
Les frais d’inscription pour les intervenants au colloque s’élèvent à 30 euros. Les versements seront à effectuer sur place.
Direction scientifique du colloque et organisation
E.S.T. Études sur le théâtre
Comité scientifique :
Isabelle Barbéris (Paris Diderot)
Christian Biet (Paris Nanterre)
Danielle Chaperon (Lausanne)
Marco Consolini (Sorbonne Nouvelle)
Nathalie Coutelet (Paris 8)
Gabriella Farina (Roma Tre)
Raimondo Guarino (Roma Tre)
Joël Huthwhol (Département des arts du spectacle, BnF)
Jean-François Louette (Sorbonne)
Vincenzo Mazza (Montpellier 3)
Gilles Philippe (Lausanne)
Jean-Marie Pradier (Paris 8)
Pierre-Louis Rey (Sorbonne Nouvelle)
David Walker (Glasgow)
Télécharger l’appel à communication
[1] Jean-Paul Sartre, « Pour un théâtre de situations », dans Un théâtre de situations, Paris, Gallimard, 1992(1973), p. 20.
[2] Albert Camus, « Interview à Paris-Théâtre », dans Œuvres complètes, IV, p. 581.