Marc Décimo, De quelques vies ou ce qu’il en reste. Art populaire & Art Brut, Les presses du réel 2025

28 Mar 2025 | Publications

L’art brut avant l’Art Brut : un inventaire archéologique de la beauté bizarre des jardins populaires et des architectures improbables, palais, chalets et châteaux dans les arbres, chapelles et grottes aménagées, maquettes en béton et en allumettes, mobiliers rustiques et sculptures animalières, roulottes et bicyclettes volantes, calvaires… et dernières demeures de créateurs en tout genre (malades mentaux, abbés, bistrotiers, facteurs – Cheval –, ou artistes autoproclamés), aux alentours de 1900. L’iconographie abondante est exclusivement constituée à partir des cartes postales anciennes, uniques documents sur ces sites aujourd’hui pour la plupart disparus, et véritables véhicules des messages esthétiques et éthiques de leur créateur.

L’inventaire exemplaire des architectures bizarres en France – tels que le « Palais idéal » du facteur Cheval et « l’Église vivante et parlante » de Ménil-Gondouin – coïncide autour de 1900 avec l’apparition de la rocaille (en ciment de Portland) et de la carte postale. C’est elle qui va contribuer à populariser les sites.

Commémorer temps révolus et fugacité de l’être s’imposent dans le temps incertain des guerres de 1870, de 1914-1918 et l’horizon de 1939. Qu’il s’agisse de malades mentaux sous la direction d’un aliéniste, de curés et d’hommes politiques en quête de voix plus ou moins égarées, de maçons, de bistrotiers, d’imagiers, de peintres et de sculpteurs autoproclamés, s’exprime le désir d’étonner, de distraire, de marquer les esprits et pas seulement de laisser une trace comme un prisonnier aux murs d’une prison ou un ermite aux parois d’une carrière abandonnée.

La passion archéologique guide les faiseurs de fausses ruines, de folies, de fabriques, de grottes artificielles, de châteaux monumentaux, de maquettes en matériaux divers, de musée. D’autres préfèrent renouer avec un nomadisme ancestral quand ils n’y sont pas précipités par la force des choses : toujours l’ombre de la guerre passe, effrayante. Et la Mort.