Paris
21-26 Juin 2026
Relectures, (ré)émergences, appropriations : que faire avec l’art du passé?
L’art est créé dans le présent, mais regarde toujours vers son passé. Il peut s’y référer subtilement, faire des allusions ou reprises plus ou moins cachées, ou bien citer ouvertement des éléments des œuvres existantes. Le rapport que l’art entretient avec le passé n’est jamais linéaire, et ses temporalités sont plurielles et complexes.
Pour l’art « occidental », la Renaissance est, bien sûr, l’emblème (voire l’apothéose) de ce genre d’art qui regarde vers le passé, dans une grande mesure fantasmé, et qui tente de le reconstituer pour, en fin de compte, créer du neuf. Elle est pour sa part inséparable de la fabrication d’un Moyen-Âge dont l’art est d’abord vilipendé pour en venir à être, dès la fin du XVIIIème siècle, l’objet autant de recherche scientifique que d’une fascination esthétique et, encore aujourd’hui, d’appropriations idéologiques.
Mais toutes les périodes de l’histoire de l’art, sans exception, prennent en compte les formes, les symboles et les figures, souvent canoniques, qu’elles ont reçus en héritage – héritage qui est, lui-même, une tradition construite et inventée, comme le canon l’est aussi. La Renaissance elle-même a été maintes fois « ressuscitée », tel que le montrera, au printemps prochain, l’exposition Michel-Ange/Rodin au Musée du Louvre.
Ces réappropriations peuvent être conscientes et revendiquées, ou, comme dans les Pathosformeln warburgiennes, semblent émerger indépendamment de la volonté des artistes. Elles relèvent tantôt d’une réification du passé, par exemple par des mouvements intentionnellement « néo » (le « néo-classicisme », les multiples néo-avant-gardes ou le phénomène du « camp »), tantôt d’une tentative (souvent condamnée à l’échec) de le faire disparaître : le modernisme et les avant-gardes du XXème siècle ont souvent cherché à se présenter comme un nouveau départ suivant une table rase.
Certain·es artistes cherchent à interroger le canon, occidental ou non, et produisent un discours à travers la réappropriation des artefacts du passé. On pense par exemple au processus de « painting back » utilisé par, entre autres, Kehinde Wiley ou Kent Monkman, ou, dans une autre perspective, aux artistes qui queerisent le canon, qui questionnent, par leur relecture, la construction du genre ou encore qui pratiquent l’écocritique.
L’histoire de l’art s’intéresse au passé (parfois très récent), mais se fait toujours dans le présent. L’historiographie étudie donc les concepts et histoires de l’art du passé dans un contexte qui a changé, et qui a un inévitable impact sur la manière de raconter les évolutions artistiques. Ainsi, les écrits des historien·nes de l’art sont, tout comme les œuvres d’art elles-mêmes, le lieu d’émergences, de revenances et de relectures incessantes du passé. Comme l’art lui-même, ils sont l’expression d’une temporalité nécessairement complexe, jamais linéaire, et de la rencontre de multiples subjectivités et idéologies. L’histoire de l’art est toujours, nécessairement, anachronique, sélective et intéressée (au sens fort du terme). Cela vaut également pour la restauration d’œuvres, qui font surgir des éléments ou des sens nouveaux, et pour les pratiques expographiques et muséales, en constante évolution comme le montrent la nouvelle définition du musée, formulée par l’ICOM et officialisée en 2022 ainsi que les relectures proposées, avant et après le « curatorial turn », par les musées et les autres lieux d’expositions. La biennale Re:Vision au Courtauld Institute de Londres, qui explore ce thème cette année, ou des ré-accrochages et parcours variés au sein de collections permanentes qui rendent visibles des parties autrement négligées (100 oeuvres qui racontent le climat au Musée d’Orsay ou Women of the Rijksmuseum à Amsterdam), en sont quelques exemples.
Ce dialogue entre périodes, au cœur de la création artistique comme du récit qu’en fait notre discipline, sera l’objet de l’édition 2026 de l’École de printemps. Les propositions de communications pourraient présenter des études de cas artistiques, où une œuvre ou un corpus citent, répètent, adoptent ou réadaptent des images, des objets ou des monuments antécédents ; ou bien analyser des relectures historiographiques en les considérant comme interventions et réappropriations transhistoriques – qu’elles soient textuelles, visuelles ou muséales.
Les communications lors de l’École pourraient aborder des problématiques et des cas d’étude liés aux questions suivantes ou à d’autres enjeux apparentés :
- L’invention (artistique et historiographique) et la réification du passé ;
- Les renaissances, revivals et reenactments en art ;
- Imitation, émulation, innovation: l’appropriation, par les artistes, de l’art de leur passé respectif ;
- L’artiste collectioneur·se, copieur·se, emprunteur·se ;
- Les notions d’héritage et de patrimoine artistique ; l’archéologie et l’archive ;
- Les appropriations colonialistes, racistes et sexistes et les actes de résistance artistique, esthétique, théorique et politique qui s’y opposent ;
- L’histoire de l’art et l’anachronisme ; entre les notions de passé et de contemporain ; le Period Eye ;
- L’histoire de l’art du passé en relation avec les enjeux politiques et culturels de sa contemporanéité;
- L’art du passé et la construction des identités : subjectivités revendiquées et occultées ; l’exploitation idéologique ;
- Les pratiques visuelles et textuelles d’exposition et les outils muséographiques mis en œuvre par les institutions pour refléter des changements historiographiques, et s’adapter aux nouvelles fonctions du musée.
Bibliographie
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Warburg, Aby, Werke, Berlin : Suhrkamp, 2010.
Informations pratiques et délais
L’EdP offre aux doctorant.e.s et aux post-doctorant.e.s l’opportunité de présenter leurs recherches selon des approches critiques et méthodologiques variées, au cours de diverses sessions durant lesquelles ils ont l’opportunité d’échanger avec des chercheur.se.s confirmé.e.s. L’EdP promeut ainsi une dimension internationale au sein des études académiques en histoire de l’art. Toutes celles et tous ceux qui souhaitent participer sont invité.e.s à proposer un résumé de la communication qu’ils et elles ont l’intention de présenter, sans limitation de période chronologique, de zone géographique ou de forme d’expression artistique. Chaque présentation d’une durée de 15 minutes sera discutée dans une session thématique spécifique, en présence et avec l’implication des membres du RIFHA. La présence des participants pendant toute la durée de l’EdP et la participation à toutes les sessions sont obligatoires. L’appel à communications sera publié sur le site web du RIFHA (www.proartibus.org) et sur les principaux portails web consacrés à l’histoire de l’art, la priorité étant donnée aux candidatures émanant d’institutions affiliées au réseau.
Les doctorant.e.s souhaitant participer à l’EdP doivent envoyer avant le 25 janvier 2026, en plus du résumé mentionné ci-dessous, un bref CV avec des indications sur leurs compétences linguistiques à l’adresse électronique suivante : edp2026paris@gmail.com. Les résumés, qui ne doivent pas dépasser 2000 caractères ou 300 mots, doivent être rédigés dans l’une des langues suivantes : français, anglais, italien, espagnol ou allemand. Les candidatures doivent inclure l’adresse électronique du candidat, son affiliation institutionnelle et son lieu de résidence. La proposition et le CV doivent être envoyés dans un seul document PDF de plusieurs pages intitulé comme suit : «Proposition_Prénom_Nom_Institution» (par exemple: Proposition_Maria_Rossi_UniversitàdiTrento). L’objet du courriel doit inclure le nom du candidat et le pays de l’institution (par exemple : Maria Rossi – Italie). Les chercheur.se.s et post-doctorant.e.s intéressé.e.s par la présidence d’une des sessions sont également invité.e.s à envoyer leur CV avant le 25 janvier 2026, en soulignant les liens de leur recherche avec le thème de l’EdP 2026 dans une lettre de motivation.
Les frais d’hébergement seront pris en charge par les organisateurs. Pour les frais de déplacement, les candidat.e.s doivent présenter des demandes de financement auprès de leurs propres institutions. Le comité d’organisation définira le programme de l’EdP en accord avec les membres du RIFHA. Le résultat des candidatures sera communiqué avant le 15 mars 2026. Dans les deux semaines suivant la date d’acceptation, les participant.e.s doivent soumettre une traduction de leurs résumés dans une autre des langues officielles du RIFHA énumérées précédemment. Les présentations PowerPoint devront également être envoyées avant le 10 juin 2026, accompagnées du texte de la présentation ou de sa traduction en anglais (pour faciliter la compréhension du contenu), via un lien qui sera communiqué ultérieurement. Pour plus d’informations sur le RIFHA et l’EdP, veuillez consulter le site https://www.proartibus.org.
Image : Cindy Sherman, Untitled #216, 1989, 221.3×142.6cm
