Appel à communication
Colloque international
« Les dons diplomatiques à l’époque moderne et contemporaine :
définitions, mutations et patrimonialisation à l’échelle globale »
Rome, Académie de France à Rome – Villa Médicis
2-3 mars 2026
Témoins éloquents des commerces apaisés, les dons diplomatiques ont fait l’objet d’importants travaux ces dernières décennies. A la suite de la réflexion séminale de Marcel Mauss sur l’anthropologie du don, les historiens de la diplomatie des temps modernes (Bély ; Frigo) se sont attachés aux contextes matériels et politiques dans lesquels se sont déployés les échanges interculturels et intercultuels. Tandis que l’histoire connectée a pris pour jalons des objets signifiants (Subrahmanyam ; Gruzinski ; Cooke), l’histoire de l’art (Castelluccio ; Rado) s’est intéressée avec profit aux rapports entre diplomatie et commerce, aux transferts techniques et artistiques, aux circuits et acteurs, sous l’angle de l’implication des manufactures notamment. Les chercheurs ont fait la part belle à de nombreuses études de cas dans des aires d’échanges spécifiques ou à des typologies de dons. Tout récemment, les historiens du droit ont analysé comment les règlementations contemporaines ont tâché de substituer la transparence à des pratiques de corruption fréquentes.
Ce colloque s’attachera à partir de l’histoire de l’art connectée, matérielle, post-coloniale, mais aussi l’anthropologie culturelle et la muséographie à mieux comprendre ces « objets ambassadeurs » (Kasarhérou), dans leur richesse sémantique, leur matérialité et leur temporalité, et à prendre la mesure des « rhizomes » (Bachir Diagne) fertiles qu’ils vont féconder sur d’autres territoires. La réflexion entend, en premier lieu, interroger à nouveaux frais, en croisant notamment anthropologie et histoire politique, les définitions et la distinction parfois ténue entre présent diplomatique, don tributaire et butin de guerre, commande ou réalisation commémoratives, ainsi que leurs rôles (symboliques, affectifs, pacificateurs, politiques etc.) dans l’institution des relations internationales et la ritualisation des échanges. Il s’agit par-là d’analyser, en confrontant les récits, le statut qu’ils revêtent de part et d’autre de la chaîne, dans des contextes variés.
La pratique culturelle des dons d’amitié pose d’emblée la question des conditions de leur commande, leur élaboration, parfois leur fabrication, ainsi que celle de la valeur symbolique des matériaux. Comme l’ont montré les études articulant l’histoire de la diplomatie à l’histoire du commerce (Zhao et Simon ; Schaub ; Guerzoni), les présents sollicitent tout autant les savoir-faire ou artisanats d’art locaux et les manufactures, ou les technologies innovantes qu’ils ne les mettent en valeur, les légitiment et célèbrent le haut degré de maîtrise de leurs producteurs tout en faisant écho à la prospérité et la parfaite gouvernance du territoire qui les voit naître. Quant aux créateurs, ils peuvent être employés par le puissant, voire bénéficier, en indépendants, de la concurrence entre princes. Dans certains cas, notamment dans les relations interconfessionnelles, les émissaires peuvent eux-mêmes être les acteurs de la fabrication de ces dons. Outre le recours à des productions autochtones traditionnelles ou à des commandes croisées, sera questionné parallèlement l’usage éventuel d’objets métis ou d’objets frontières, porteurs d’un ailleurs acclimaté et de sémantisations multiples, comme présents notamment dynastiques. En abordant le choix des objets et leur matérialité à l’aune de phénomènes économiques, socio-culturels, et sans négliger l’histoire du religieux et le poids des idéologies, le colloque ambitionne ainsi de comparer les circuits des commandes, les modalités d’adaptation et la part de normes et libertés, en recontextualisant les pratiques et en examinant les stratégies de domination sous-jacentes.
Si la singularité du cadeau protocolaire tient à la richesse et la sophistication de son message, simultanément représentatif du donateur et adapté au destinataire, à sa magnificence d’exécution ou de support, mais également au rite de sa présentation, la liste est longue des typologies d’« objets » choisies : portraits officiels, tapis, militaria, vaisselle, naturalia, costumes, joaillerie et horlogerie, objets cultuels ou apotropaïques, ou encore animaux, jusqu’aux nains de cour, etc. Les interventions exploreront des cas variés, et accorderont une attention particulière à certains objets spécifiques qui sont, par nature même, des présents diplomatiques, tels les portraits de présentation, médailles, handsteinen, ou calumets de la paix.
En considérant le temps long des relations diplomatiques, le colloque souhaite surtout analyser pleinement l’agentivité évolutive des présents, du renforcement des alliances dynastiques princières à la consolidation des États-nations, ainsi que la manière dont les objets transmis construisent et potentiellement reconfigurent les liens. Comment ces objets s’inscrivent-ils dans une politique du don, sérielle ou renouvelée au fil du temps ? Selon quels rituels ces témoins qui scellent l’entente doivent-ils eux-mêmes réactiver l’alliance (contre-don, voyage de reconnexion…) ? Comment sont-ils perçus et compris quelques années après leur offrande, et, dès lors qu’ils deviennent partie prenante des discours de patrimonialisation, notamment dans des lieux dédiés à leur conservation collective, lesquels sont à leur tour des outils agissants ? Quelles réflexions sur l’espace et le display accompagnent ces objets, avec quelles mises en scène, stratégies visuelles, jeux de matériaux pendant la rencontre et une fois déposés auprès du puissant ? De quels discours et narrations se font-ils porte-parole ? Par ailleurs, qu’advient-il, et avec quel impact symbolique, des dons qui ne parviennent pas à leur destinataire ? Certains présents, témoignages de liens pacifiés, ont été appropriés par d’autres puissances dominantes, colonisatrices, ou occupantes : quelles en furent les circuits, parfois complexes, les enjeux, culturels ou propagandistes, et les effets de transferts sémantiques ?
Le colloque, opportunément accueilli par l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, s’appuiera sur des visites de lieux et fonds pertinents et sur la confrontation avec les pratiques contemporaines d’échanges protocolaires. Il débattra à partir de visions polycentrées, en encourageant les regards croisés sur les phénomènes, et en analysant bilatéralement ou multilatéralement les sources. Sont particulièrement attendues, sans exclusive, des contributions qui s’attacheront à des cadres géographiques très ouverts (du palais du vice-roi de Nouvelle Espagne à la cour moghole ou chinoise, de Versailles ou Venise à Topkapi ou Damas, de la cour de l’Oba à celle du Portugal) et apporteront des éclairages sur les thèmes suivants :
– Le don diplomatique, ses variantes et définitions ;
– Les conditions de la fabrication des dons et le rôle des acteurs passeurs (artistes, princes, ministres, diplomates, agents protocolaires, surintendants des bâtiments, marchands…) ;
– Les parcours de l’objet, ses mises en scène et localisations (palais, studiolo, cabinet de curiosités, galerie, salons officiels etc.), les décors et architectures éphémères ;
– Les significations de l’offrande en contexte et son impact sur les relations internationales, les liens entre dons diplomatiques et stratégies commerciales ou religieuses ;
– L’analyse des représentations, sous toutes leurs formes, des échanges de dons (ambassades diplomatiques, missions chrétiennes, réunions œcuméniques, alliances, célébrations dynastiques, cérémonies de translation…) ;
– La variété des commémorations du don (y compris discursives et spectaculaires) et l’analyse croisée des récits visuels, littéraires, historiques ;
– Les patrimonialisations des dons diplomatiques : des collections princières aux musées (missionnaires, ethnographiques, nationaux, présidentiels ou multilatéraux) ;
– L’évolution des dons face à celle des pratiques diplomatiques (codification, professionnalisation) ;
– Les dons avortés et les captures inattendues, l’authentification et la falsification des dons diplomatiques avec leurs traces matérielles, la recherche de provenances sur certains dons ;
– Les dons diplomatiques face à l’encadrement des pratiques (lois somptuaires, politique de transparence, etc.).
—
Les chercheurs intéressés feront parvenir d’ici le 15 octobre 2025 une proposition de communication avec un titre et un résumé (3 000 signes maximum) et une présentation biographique (5-10 lignes max.), précisant leur affiliation actuelle, conjointement aux adresses suivantes :
natachapernac@yahoo.fr ; valqhristova@yahoo.fr ; patrizia.celli@villamedici.it
Les propositions et communications pourront être formulées en français, italien et anglais.
L’organisation prendra en charge le logement et les repas des intervenants et se tiendra à leur disposition pour les orienter vers la recherche d’aides au financement des frais de transports.
—
Comité d’organisation :
• Patrizia Celli, assistante chargée des colloques et du secrétariat du Département d’histoire de l’art – référente archives, Académie de France à Rome – Villa Médicis.
Alessandro Gallicchio, directeur du Département d’histoire de l’art, Académie de France à Rome – Villa Médicis ;
• Valentina Hristova, maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne, Université de Picardie Jules Verne, Amiens ;
• Natacha Pernac, maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne, Université Paris-Nanterre ;
Comité scientifique :
• Lucien Bély, professeur émérite d’histoire moderne, Paris, Sorbonne Université, membre de l’Institut, Académie des sciences morales et politiques ;
• Francesco Freddolini, Professore associato di storia dell’arte moderna, Rome, Sapienza – Università di Roma ;
• Serge Gruzinski, directeur de recherche émérite en histoire, Paris, CNRS / EHESS ;
• Guido Guerzoni, historien et économiste, Milan, Università Luigi Bocconi ;
• Mei Mei Rado, assistant professor of Textile and Dress History, New York, Bard Graduate Center.
Organisé par l’Académie de France à Rome / Université de Picardie Jules Verne / Université Paris Nanterre
Image : Détail de Payag, “Europeans bring gifts to Shah-Jahan (July 1633)”, in Padshahnama, Londres, Royal Collections, c. 1640. ©
Royal Collection Trust