Appel à communication
« Représenter le corps absent »
Journée d’étude 3 juin 2021
Privant les humains de leurs rapports réels aux autres, le nouvel ordre du monde provoqué par le contexte pandémique a banalisé les échanges virtuels dans tous les domaines de la vie professionnelle, personnelle et culturelle. Les images des lieux dépeuplés à travers le monde – rues désertes de capitales, bureaux abandonnés, transports déserts – constituent des représentations insolites de l’absence qui interpellent et semblent déjà ancrées dans la mémoire collective. L’impact de la disparition physique du corps de l’autre et de la perte du lien social qu’induit l’isolement n’est pas anodin sur les pratiques corporelles collectives (manifestations culturelles, célébrations, mouvements sociaux…). L’omniprésence de la virtualité comme alternative aux rapports sociaux traditionnels, la peur implicite du corps des autres et le renversement d’une société où les corps sont présents mais invisibles nous amènent donc, dans le cadre de cette journée d’étude, à repenser la corporalité et sa visibilité dans le champ de la représentation. La frontière entre l’absence et la présence, de plus en plus incertaine, renouvelle notre conception du vide et de la manière de le dépeindre. Il s’agit de saisir les enjeux des représentations du corps absent dans leurs rapports, entre autres, aux notions d’espace, de temps, d’identité et de mémoire.
Cette rencontre entend rassembler chercheur·se·s confirmé·e·s ou débutant·e·s, issu·e·s de toutes les disciplines, pour échanger autour de ces notions. Le débat autour du corps absent est d’une part épistémologique : comment pallier l’absence de certains corps des représentations traditionnelles dans l’art ou les sciences ? La notion de visibilité de communautés minoritaires touche ainsi à la question du renouvellement des connaissances et des iconographies, à travers l’appréhension des « savoirs situés » par exemple, dans un rapport aux sciences humaines et sociales plus inclusif (les silhouettes de Kara Walker, spectographies de Smith (2015), La chambre de Sarah d’Emilie Pria (2020) …).
L’absence du corps implique aussi les notions de perte et de disparition, faisant appel au passé et aux mémoires. Les vestiges et les empreintes sont autant de traces du passage d’un corps et matérialisent la relation des humains avec l’environnement qui les voit vivre et leur survit (Saint-Sépulcre, Saint-Suaire, mains négatives de la grotte de Gargas…). Des fouilles archéologiques aux sites fantômes (Fukushima, Tchernobyl), en passant par les œuvres éphémères (performances, land art…), on peut questionner le rôle de l’archive et de la présence immortalisée par le médium photographique et/ou vidéographique. La documentation supplante ainsi les humains et leurs œuvres (les photographies d’intérieurs parisiens d’Eugène Atget (ca. 1910), les Anthropométries d’Yves Klein (1960), Richard Long A Line Made by Walking (1967), la série des Siluetas d’Ana Mendieta (1973-1977), Romain Veillon (photographie Urbex)…). La disparition du corps semble donc dessiner un nouveau rapport au temps, à l’espace et aux objets.
Ces rapports au vide et au silence invitent encore à interroger la mise en scène de l’absence, ou ce qui est présent autrement. Dans le contexte sanitaire actuel mais aussi dans les arts visuels, au théâtre et au cinéma, le corps oscille entre le matériel et l’immatériel (œuvres holographiques d’Ana Maria Nicholson, Pierrick Sorin, pictorialisme…), sans oublier l’importance du mot qui pallie l’absence dans la littérature et les arts du spectacle (Samuel Beckett, Le Horla…) ou encore l’évocation d’une présence à travers la création d’un environnement artificiel (le décor de théâtre réaliste, Sophie Calle, le found footage au cinéma, les cénotaphes, les robes sans corps d’ORLAN…). L’intensification des flux d’informations et l’omniprésence des technologies produit un nouvel état corporel, à l’instar des réseaux sociaux et leurs usages qui peuvent être appréhendés comme un prolongement des corps : nous pouvons ici interroger l’angle posthumain avec la science et les nouvelles technologies (Julia Reodica, les Saints-suaires d’ORLAN…).
Sans nécessairement s’y limiter, les propositions de communication pourront explorer des sujets s’inscrivant dans une ou plusieurs de ces quelques pistes d’analyses :
– Mémoires et empreintes corporelles (trace, archive, vestige, relique, environnement)
– Dématérialisation du corps (virtuel, fantôme, reconstitution, nouvelles technologies)
– Sous-représentation des corps (exclusion sociale, questions de genre, queer, postcolonial, décolonial)
Modalités de proposition :
Les propositions de communication doivent comprendre un titre et un résumé d’environ 500 mots en français, ainsi qu’une brève bio-bibliographie et les coordonnées de l’auteur·rice. Les présentations d’environ 20 minutes pourront faire l’objet d’une publication en ligne.
Elles doivent être envoyées au format .doc ou .pdf, au plus tard le 26 février 2021 à Barbara Bessac (barbara.bessac@gmail.com) et Quentin Petit dit Duhal (quentinpetitdd@hotmail.fr).
Pistes bibliographiques :
Elisabeth Angel-Perez et Pierre Iselin (dir.), La lettre et le fantôme: le spectral dans la littérature et les arts (Angleterre, États-Unis), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006.
Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Éditions du Seuil, 1953 -1972.
Stéphane Bex, Terreur du voir. L’expérience found footage, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2016.
Christine Buci-Glucksmann, L’Esthétique de l’éphémère, Paris, Éditions Galilée, 2003.
Anne Cauquelin, Fréquenter les incorporels : contribution à une théorie de l’art contemporain. Paris, PUF, 2006.
Georges Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg. Paris, Éd. de Minuit, coll. Paradoxe, 2002.
Estelle Doudet, « Présence du corps absent : Théâtre et disparition du prince au xve siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 32, 2016, p. 19‑36.
Odai Johnson, Absence and memory in colonial American theatre: Fiorelli’s plaster, New York, Palgrave Macmillan, 2006.
Donna Haraway, « Manifeste cyborg : science technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle », dans Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991, pp. 149-181.
Naja Carine Khouri, « Représentations du corps dans l’art : enjeux identitaires », Le Carnet PSY, 2016/7 (N° 201), p. 28-36.
F. Lebreton, L’urbex, une dissidence récréative en « nature » urbaine » in Nature et Récréation. La naturalité en mouvement, ETE – Éditions ESPACES, 2015.
Manninen Saini, “In theatre, as in love, the subject is disappearance. On Absence and Archival Logic in Performance », Études anglaises, 2016/2 (Vol. 69), pp.162-175.
Peter Missotten, « Comment organiser l’absence sur scène. (Le cochon virtuel ne sent pas) », Études théâtrales, 2012/1 (N° 53), p. 114-121.
Sophie Raux et Daniel Dubuisson (dir.), À perte de vue – Les nouveaux paradigmes du visuel, Paris, Presses du Réel, 2015.
Afia Shahid, « Towards A Deconstructive Text: Beyond Language And The Politics Of Absences In Samuel Beckett’S Waiting For Godot », World Academy of Science, Engineering and Technology International Journal of Cognitive and Language Sciences, Vol:12, No:1, 2018.
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Image / Eugène Atget, Intérieurs parisiens, atelier de madame, sculpteur amateur, 6ème arrondissement, ca. 1910, Musée Carnavalet, Paris.