Appel à communications / 101 THEORY NOT FOUND Jeux vidéo × Animation

17 Mai 2023 | Appels

Colloque international
INHA, Paris, 14 & 15 décembre 2023

Équipe scientifique et organisateurs

Hervé Joubert-Laurencin (Université Paris Nanterre), Xavier Kawa-Topor (NEF Animation), Jean-Baptiste Massuet (Université Rennes 2), Benjamin Mera (Université Paris Nanterre), Antoine Rigaud (Université Paris Nanterre).

Argument

Quand les chercheur·ses en game studies s’intéressent aux images en mouvement des jeux vidéo, ils le font, à quelques exceptions près[1], depuis le cinéma. Or, penser l’image depuis les théories du cinéma amène souvent à reconduire les inconscients et les angles morts de celles-ci, dont la carence commune reste encore souvent cette catégorie ad hoc appelée “cinéma d’animation”.

De fait, la première occurrence de l’expression connue à ce jour est attribuée à André Martin en 1953, pour regrouper et légitimer autour d’un principe technique commun – la réalisation “image par image » – tout un ensemble de cinématographies jusque là marginalisées (le dessin animé, le film de marionnettes, la gravure animée, le grattage sur pellicule, etc.), et qu’il entendait faire émerger au-delà du dessin animé, sans pour autant le réduire au cinéma expérimental, pour former une communauté, celle du “cinéma d’animation[2]”. Ce cinéma s’articule autant autour d’une technique que d’une certaine pensée du cinéma : il repose sur un régime d’inversion où “le vivant n’est plus la convention[3]”, et propose des corps cataboliques et des images entropiques[4] mettant en échec les théories classiques construites majoritairement sur des cinématographies en prises de vues réelles.

Il est pourtant frappant de constater que, en dépit de l’inversion – unanimement reconnue – des rapports de forces entre animation et cinéma[5], et dont la formulation la plus fameuse est celle de Lev Manovich[6], le “cinéma d’animation » reste, au sein des recherches universitaires, un champ mineur, minoritaire, et souvent omis par les chercheurs en cinéma ; omission qui nous semble reconduite au sein des game studies, alors même que – là où le principe photographique est central dans le domaine des images cinématographiques – les techniques d’animation sont, au contraire, au cœur de la production des images vidéoludiques. De l’autre côté du spectre, le problème semble d’ailleurs similaire : les histoires de l’animation numérique laissent souvent à la marge le développement de l’animation dans le champ des jeux vidéo. Au-delà de la question des techniques d’animation, communes à ces deux médiums, les réflexions et problématiques esthétiques du cinéma d’animation peuvent pourtant considérablement enrichir la prise en compte du jeu vidéo comme art.

Nous souhaitons donc esquisser une approche des jeux vidéo à partir des pensées et des méthodes du cinéma d’animation, et poser les bases d’une étude de l’animation dans les jeux vidéo. Penser les liens entre le cinéma d’animation et les jeux vidéo s’avère fructueux, tant au niveau technique qu’au niveau esthétique, tant pour la compréhension des images que pour celle de l’industrie, tant pour la compréhension des jeux vidéo que celle de l’animation. En effet, les dénominations telles que “jeux informatiques », “jeux électroniques » qui coexistaient à la naissance du médium ont aujourd’hui disparu, laissant une place hégémonique à l’expression “jeux vidéo » (du moins en France), consacrant l’importance de l’image en mouvement au sein du médium. L’animation apparaît ainsi comme un des cœurs actuels du medium vidéoludique : elle en constitue une des conditions de possibilité, y compris dans les cas où les techniques vidéoludiques empruntent des voies plus ambiguës comme celle de la capture de mouvement ou la performance capture, dont on sait qu’elles ont interrogé nombre de chercheurs quant à leur appartenance ou non au territoire du cinéma d’animation. Il nous semble donc essentiel d’interroger les liens qui unissent cinéma d’animation et jeux vidéo : leurs héritages, leurs altérations, leurs thématiques et leurs acteur·ices commun·es.

Enfin, outre la coïncidence de leur naissance, qui fait apparaître le jeu vidéo dans les années 1960 (période moderne du cinéma au cours de laquelle naissent puis s’instituent le concept et la communauté du cinéma d’animation), les jeux vidéo emploient de manière aujourd’hui systématique les techniques numériques d’animation et travaillent souvent des imaginaires communs avec les séries et cinémas d’animation contemporains. Ces contiguïtés dépassent-elles le seul aspect cosmétique, pour pénétrer jusqu’aux mécaniques du gameplay ? Qu’est-ce que cela implique de penser les images des jeux vidéo depuis l’animation, et l’animation comme partie prenante du flux audiovisuel ? Les jeux vidéo ouvrent-ils de nouvelles formes d’écritures aux réalisateur·ices de films d’animation ? De même, quelles nouvelles cartographies, quelles idées nouvelles émergent dès lors que l’on envisage l’action et la rétro-action non plus seulement comme la singularité des jeux vidéo, mais comme le principe directeur des développements contemporains de nouvelles relations (à la technologie, à l’art, aux médias, aux autres, …) ?

Axes thématiques

Dans ce contexte, les communications proposées pourront s’inscrire – sans pour autant nécessairement s’y limiter – dans l’un ou plusieurs des axes thématiques suivants :

  • Les logiques de création. Ce premier axe vise à étudier la place occupée par l’animation dans la réalisation d’un jeu vidéo, ainsi que les points de rencontre entre les deux industries. Il recouvre, entre autres, la question du transmédia / “media-mix », les animations et jeux collaboratifs, les cinémas et jeux vidéo “fait main » (hand-made / concrete), la création comme pratique ludique et la pratique du jeu comme activité créative, les machinimas, la place des animateur·ices dans l’industrie du jeu vidéo, …
  • Histoire(s) économico-culturelle(s) des techniques. Une histoire de l’animation des jeux vidéo est encore à bien des égards à écrire, qui retracerait les développements logiciels (software) et matériels (hardware) ; les évolutions des techniques d’animation dans les jeux vidéo, les trajectoires des acteurs de l’industrie ; les relations et rapports entre sciences, arts, industries ; l’élaboration des intelligences artificielles, des esthétiques à bases matérielles simulées, des librairies de données et des interfaces de création ; ou encore la place de l’animation dans l’imaginaire des développeur·euses, …
  • Les architectures mutantes. L’animation, à la différence du cinéma de PVR[7], propose de l’espace une représentation qui s’assume souvent en tant qu’image, où le matériel s’engloutit dans l’immatériel, et inversement. Il nous semble donc pertinent de considérer les espaces des jeux vidéo par ce prisme là : animations des espaces virtuels, transformation de la réalité, interactivités politiques qui s’y jouent et politiques spatiales de l’interaction/du contrôle ; réalité virtuelle, réalité augmentée, bac-à-sable, spatialisation et visualisation de données ; animation procédurale et animation par interpolations ; espaces non-euclidiens ou liminaux, rapports de profondeur ou de planéité de l’image, matérialité des espaces virtuels, corruptions de logiciels et esthétique(s) du pépin (glitch), …
  • Les lettres mouvantes. Les mouvements et animations de textes dans l’image vidéoludique sont également source de multiples questionnements. Cet axe réunit des thématiques telles que les textes animés et les animations générées à partir de textes ; les arts et jeux “ASCII[8]« , les jeux en lignes de commandes, les modèles interprétatifs de données, les rapports entre langages informatiques et code(s) de la réalité ; les remédiations de la bande-dessinée dans les films d’animation et les jeux vidéo (phylactères, gaufrages, ombrages de cellules, …) ; la rhétorique procédurale, ou encore les interfaces utilisateurs (UI, HUD)[9] et les inventaires.
  • Les corps thanatomorphes. Enfin, nous proposons d’étudier les animations des corps dans les jeux vidéo et les questions qu’elles posent : la capture de mouvement, les animations des avatars et des PNJ[10], les enjeux d’incarnation et de simulation ; les logiques et conceptions de l’apparition (spawn, re-spawn), de la mort et de la survie (die & retry, survival, beat’em all, etc.) ; les performances et jeux de rôle (de l’animateur.ice ou du joueur·euse, les chorégraphies, danses et métamorphoses des image et des jeux ; actions scriptées, automates, et agentivité(s) des joueur·euses et des machines ; la création et personnalisation de personnage en jeu (customisation, économie des skins, influence des “choix » sur le devenir de ces corps, …) et leur conception préalable par les développeur·euses (character design).

Modalités de proposition et informations pratiques

Nous invitons professionnel·les et chercheur·ses à nous faire parvenir leurs propositions de communications (environ 300 mots) en français ou en anglais, accompagnées d’un court texte de présentation biographique.

Les propositions sont à envoyer à 101tnfjvxa@liste.parisnanterre.fr avant le 26 juin 2023.

Les sélections seront annoncées par courriel à partir du 3 juillet 2023.

Le colloque se tiendra localement à l’INHA (Paris), et de manière digitale, les 14 et 15 décembre 2023.


Télécharger l’appel à communication


Bibliographie indicative

  • ALBERA François & TORTAJADA Maria (dir.), Cinema Beyond Film: Media Epistemology in Modern Area, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010.
  • BLANCHET Alexis, Des Pixels à Hollywood, Houdan, Pix’n Love, 2010.
  • BLANCHET Alexis, Les Jeux vidéo au cinéma, Paris, Armand Colin, 2012.
  • BLANCHET Alexis & MONTAGNON Guillaume, Une histoire du jeu vidéo en France, Houdan, Pix’n Love, 2020.
  • BLANCHET Alexis (dir.), Jeu vidéo / Cinéma – Perspectives théoriques, Paris, Questions Théoriques, coll. “Lecture>Play”, 2016
  • BOLTER J. David & GRUSIN Richard, Remediation: Understanding New Media, Cambridge, MIT Press, 1999.
  • BOYER Elsa, AKTYPI Madeleine, DURING Elie, HIGUINEN Erwan, SIETY Emmanuelle, SZTULMAN Paul (dir.), Voir les jeux vidéo, perception, construction, fiction, Paris, Bayard, 2012.
  • BUCHAN Suzan (dir.), Animated worlds, London, John Libbey Publishing, 2007.
  • CARLSON Wayne E., Computer Graphics and Computer Animation: A Retrospective, Columbus, The Ohio State University, 2017.
  • CAVALLARO Dani, Anime and the Visual Novel: Narrative Structure, Design and Play at the Crossroads of Animation and Computer Games, Jefferson & London, McFarlands & Company, 2010.
  • DENIS Sébastien, Le cinéma d’animation, Paris, Armand Colin, 2007.
  • DULAC Nicolas Dulac & LEFEBVRE Martin (dir.), Du média au postmédia : continuités,ruptures, Lausanne, L’Âge d’Homme, Infolio, 2022.
  • GIORDANO Federico, GIRINA Ivan et FASSONE Riccardo (dir.), Game: The Italian Journal of Game Studies, n°4, dossier “Re-framing video games in the light of cinema”, Reggio de Calabre, Ass.ne Culturale Ludica, 2015.
  • GENVO Sébastien (dir.), Le game design de jeux vidéo – Approches de l’expression vidéoludique, Paris, L’Harmattan, coll. “Communication et Civilisation”, 2005.
  • GERSHON Ilana & MANNING Paul, “Animating interaction”, HAU : Journal of Ethnographic Theory, Vol.3, n°.3, 2013
  • HARRIES Dan (dir.), The New Media Book. London, bfi Publishing, 2002.
  • JARVINEN Aki, “Gran Stylissimo: The Audiovisual Elements and Styles in Computer and Video Games”, in MÄYRÄ Franz (dir.), Proceedings of Computer Games and Digital Cultures Conference. Tampere, Tampera University Press, 2002, p. 113-128.
  • JONES Mike, “Vanishing Point : Spatial Composition and the Virtual Camera”, Animation, Vol.2, n°.3 (Novembre 2007), p. 225-243.
  • JOUBERT-LAURENCIN Hervé, La Lettre volante. Quatre essais sur le cinéma d’animation, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1997.
  • JOUBERT-LAURENCIN Hervé, “Le cinéma d’animation n’existe plus”, Acme, n°1, octobre 2008.
  • KANE L. Carolyn, High-Tech Trash : Glitch, Noise, and Aesthetic Failure, Oakland, University of California Press, 2019
  • KAWA-TOPOR Xavier, Le cinéma au-delà du réel, Paris, Capricci, 2016.
  • KING Geoff & KRZYWINSKA Tanya (dir.), ScreenPlay. Cinema / Videogames / Interfaces, Londres/New York, Wallflower, 2002.
  • KIRKPATRICK Graeme, Aesthetic Theory and the Video Game, Manchester, Manchester University Press, 2011.
  • KRAP Peter (dir.), Noise Channels : Glitch and Error in Digital Culture, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2011.
  • KRICHANE Selim, La caméra imaginaire, Genève, Georg, 2018.
  • LAMARRE Thomas, The Anime Ecology : A Genealogy of Television, Animation and Game Media, University of Minnesota Press, 2018.
  • LISTER Martin, DOVEY Jon, GIDDINGS Seth, IAIN Grant et KIERAN Kelly, New Media: A Critical Introduction, Londres et New York, Routledge, 2003.
  • MENKMAN Rosa, The Glitch Moment(um), Network Notebooks 04, Amsterdam, Institute of Netowrk Cultures, 2011.
  • MANOVICH Lev, Le Langage des nouveaux médias [2001], trad. française de Richard Crevier, Dijon, Les Presses du Réel, coll. “Perceptions”, 2010.
  • MASSUET Jean-Baptiste, Le cinéma virtuel : de la performance capture aux imaginaires numériques des formes cinématographiques contemporaines, Genève, Georg, coll. “Emprise de vue”, 2022.
  • NITSCHE Michael, Video Game Spaces – Image, Play, and Structure in 3D Game Worlds, Cambridge & Londres, MIT Press, 2008.
  • PERENY Étienne, Images interactives et jeu vidéo – De l’interface iconique à l’avatar numérique, Paris, Questions Théoriques, 2013.
  • PERRON Bernard & WOLF Mark J.P. (dir.), The Video Game Theory Reader, New York/Londres, Routledge, 2003.
  • PERRON Bernard & WOLF Mark J.P. (dir.), The Video Game Theory Reader 2, New York/Londres, Routledge, 2009.
  • PERRON Bernard & THERRIEN Carl, “De la sortie de Spacewar! des laboratoires de MIT à Gears of War, ou comment l’image vidéoludique est devenue plus cinématographique”, Bianco e Nero, 2010.
  • PICARD Martin, Pour une esthétique du cinéma transludique Figures du jeu vidéo et de l’animation dans le cinéma d’effets visuels du tournant du XXIe siècle, Thèse de doctorat sous la direction de Livia Monnet et Bernard Perron, Montréal, Université de Montréal, 2009.
  • THERRIEN Carl, “Graphics in Video Games”, in WOLF Mark J.P. (dir.), The Video Game Explosion. A History from PONG to PlayStation and Beyond, Westport, Greenwood Press, 2007, p. 239-250.
  • TOMASOVIC Dick, Le Corps en abîme, sur la figurine et le cinéma d’animation, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2006.
  • TRICLOT Mathieu, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zone, 2011.
  • WOLF Mark J.P. (dir.), The Medium of the Video Game, Austin, University of Texas Press, 2001.

[1]. cf. notamment SZTULMAN Paul, “Les explorateurs des abîmes », in Boyer Elsa, Aktypi Madeleine, During Elie, Higuinen Erwan, Siety Emmanuelle, Sztulman Paul (dir.), Voir les jeux vidéo, perception, construction, fiction, Paris, Bayard, 2012; ARSENAULT Dominic et PERRON Bernard, “De-framing video games from the light of cinema », in Game: The Italian Journal of Game Studies, n°4, Reggio de Calabre, Ass.ne Culturale Ludica, 2015 ; et WARDS Paul, “Video game as remediated animation » in King Geoff and Krzywinska Tanya (dir.), ScreenPlay. Cinema / Videogames / Interfaces, Londres, Wallflower Press, 2002.

[2]. cf. JOUBERT-LAURENCIN Hervé, La Lettre volante. Quatre essais sur le cinéma d’animation, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997.

[3]. Ibid., p. 34.

[4]. cf. TOMASOVIC Dick, Le Corps en abîme, sur la figurine et le cinéma d’animation, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2006.

[5]. Voir sur cette question JOUBERT-LAURENCIN Hervé, “Le cinéma d’animation n’existe plus », Acmé, n°1, octobre 2008.

[6]. “Rear projection and blue screen photography, matte paintings and glass shots, mirrors and miniatures, push development, optical effects and other techniques which allowed filmmakers to construct and alter the moving images, and thus could reveal that cinema was not really different from animation, were pushed to cinema’s periphery by its practitioners, historians and critics. In the 1990s, with the shift to computer media, these marginalized techniques moved to the center. » Lev Manovich, The Language of New Media, Cambridge, The MIT Press, 2001, p. 253 [p.513 pour la traduction française de Richard Crevier, cf. bibliographie]

[7]. “Prises de vues réelles »

[8]. “American Standard Code for Information Interchange » (litt. “code américain normalisé pour l’échange d’information »), désigne d’abord une norme informatique de codage des caractères typographiques, puis des pratiques et des esthétiques traitant ces caractères comme composants élémentaires d’une image (voir par exemple les archives compilées sur https://www.asciiart.eu/).

[9]. “User Interface » et “Heads Up Display » (pour  “affichage tête haute », ATH), souvent utilisés comme synonymes l’un de l’autre, quand le HUD est d’abord une forme spécifique d’UI (mimant les HUD matériels qu’on trouve dans les cabines de pilotages d’avions, de sous-marins, etc., et auxquels il emprunte son nom).

[10]. “Personnage Non-Joueur / Non-Jouable »  (en anglais  “NPC » pour  “Non-Playable Character »).